Le pianiste de Wladyslaw Szpilman
Je viens de relire ce récit poignant qui m’avait déjà beaucoup marqué il y a quelques années. Si vous ne connaissez pas le livre, le titre vous évoque certainement en revanche le film de Roman Polanski inspiré de cette histoire, sorti en 2002. Il s’agit du récit autobiographique d’un pianiste polonais, Wladyslaw Szpilman, durant la seconde guerre mondiale. Il l’a écrit en 1946, au sortir de la guerre et l’a publié d’abord sous le titre “Une ville meurt”. Il s’agit de Varsovie où il vivait lors de la capitulation de la Pologne face à l’Allemagne en septembre 1939 et qu’il n’a pas voulu quitter. Le livre est cependant rapidement interdit, car revenant trop vite sur des faits traumatisants et honteux. Presque un demi-siècle plus tard, le manuscrit est retrouvé par le fils de l’auteur, Andrzej Szpilman, en 1998. Il est à nouveau publié et remporte un vif succès. Wladyslaw Szpilman s’est éteint le 6 juillet 2000, deux ans avant la sortie du film, à Varsovie.
L’histoire :
Juif d’origine, il raconte la lente et atroce descente aux enfers des Varsoviens sous l’occupation Aryenne. On assise à la mise en place du tristement célèbre ghetto et à la dégradation des conditions de vies de leurs habitants. L’extermination systématique et organisé de toute la population juive est raconté de manière simple et sans pathos. Mais le récit n’en est que plus poignant. Swadyslaw Szpilman échappe de justesse à la déportation et essaie de survivre pendant des années d’abord avec l’aide d’amis et de connaissances, puis complètement seul au milieu des ruines.
Le piano est peu évoqué par l’auteur et tient une place assez discrète et c’est compréhensible vu les circonstances. Mais, en tant que pianiste, j’ai noté des passages, des phrases, des réflexions qui ont attiré mon attention. Voici donc quelques réflexions tirées de ma lecture.
La place de l’artiste en temps de guerre :
Complètement abattu au début de l’occupation par l’armée allemande, Mr Szpilman se sent inutile et sans énergie. Il est lent à sortir de sa torpeur, mais se révèle petit à petit d’une force qu’il n’avait certainement pas lui-même soupçonné. Il joue pour faire vivre sa famille grâce à ses prestations dans le ghetto. Mais bien sûr les conditions de vie ne prêtent pas à apprécier la musique… La musique perd petit à petit sa place face aux difficultés et aux besoins des habitants de Varsovie, comme on peut le lire par exemple dans cet extrait :
“Au Nowoczesna, personne ne prêtait la moindre attention à ce que je jouais. Plus je tapais sur mon piano, plus les convives élevaient la voix tout en s’empiffrant et en trinquant. Chaque soir, entre mon public et moi, c’était une lutte ouverte à qui arriverait à imposer son vacarme sur l’autre. Une fois, un client a même envoyé un serveur me demander de m’interrompre un instant parce que je l’empêchais d’écouter la qualité des pièces de vingt dollars-or que l’un de ses commensaux venait de lui vendre. Il les faisait doucement tinter contre le guéridon en marbre, les portait à son oreille entre deux doigts et écoutait intensément la manière dont ils sonnaient, seule et unique musique agréable à son oreille.”
Lorsqu’il n’est plus temps de jouer du piano, il travaille dure pour survivre et ne pas partir dans les camps. Il aide la résistance Varsovienne en transportant des munissions dissimulées dans des sacs de pain et de pommes de terre. Sa qualité de pianiste va cependant lui permettre de se sortir de beaucoup de faux pas et à échapper à la mort à plusieurs reprise. Les gens vont se souvenir de lui, vont le protéger, le sauver. Est-ce du respect ou de la reconnaissance face à quelqu’un de talent qui les a fait rêver dans des temps plus doux ? C’est même grâce à un capitaine allemand mélomane, Wilm Hosenfeld, qui le protège à la fin de la guerre, que nous pouvons lire ces lignes aujourd’hui. Mais je ne vous en dit pas plus…
La naïveté du musicien :
Une chose m’a frappé plusieurs fois dans ce livre. Mr Szilman évoque plusieurs fois une incompréhension face aux comportements inhumain qu’on pu avoir des musiciens qui l’entouraient, face à l’horreur et à la peur. Il s’indigne régulièrement devant des actes de trahison et de grande violence qu’il qualifie d’indigne d’un musicien. Des gens qui pouvaient commettre des atrocités d’un coté et jouer avec un si grand talent de l’autre. Comme si la musique pouvait sauver l’homme de sa noirceur profonde… Mais la religion n’arrive pas à cela, comment la musique pourrait-elle le faire ? Ce n’est pas à la musique d’élever l’homme, c’est à l’homme de le faire avec ce qui lui est donné, musique ou autre…
Je comprends cependant complètement son étonnement, cela m’a rappelé beaucoup de moment où je me suis posé des questions similaires, dans des circonstances bien moins dramatique bien sûr. On retrouve aussi chez beaucoup de conversations de mélomane cette croyance que les musiciens seraient des personnes sauvées de toute médiocrité grâce à leur art. Mais la réalité est bien plus complexe que cela. Bien sûr je ne suis pas en train de dire qu’il n’y a pas de personnes extraordinaires et exceptionnelles parmi les artistes. Je dis juste que ce n’est pas un gage de qualité humaine au sens noble.
Les difficultés du pianiste :
Il est difficile pour un pianiste de ne pas penser lors de circonstances physiquement difficiles à son métier et à ce qui lui permet de l’exercer : ses mains. Que peut faire un pianiste sans elles ? Combien de fois ai-je protégé mes mains lors de match de hand ou de volley à l’école, m’attirant les foudres de mes camarades… Tout effort qui engage les mains est souvent source d’inquiétude et d’appréhension chez le pianiste. J’ai retrouver plusieurs fois dans le livre cette préoccupation comme dans celui-ci :
“Le froid était de plus en plus vif. Au travail, il m’arrivait toujours plus souvent de sentir mes doigts s’engourdir jusqu’à en devenir inertes. Je ne sais pas ce que je serai devenu si le hasard n’était pas venu à mon aide… un jour j’ai glissé en portant du mortier et je me suis foulé la cheville. Constatant que j’étais désormais inapte au travail de construction, l’ingénieur m’a fait verser au service des fournitures. On était déjà fin novembre : quelques jours de plus dans la froidure du chantier et je n’aurais pu sauver mes mains.”
La force du pianiste :
Je me suis demandé si la force de Wladyslaw Szpilman n’avait pas sa source dans sa pratique, sa discipline pour arriver au niveau pianistique auquel il était arrivé avant la guerre. Dans la deuxième partie de la guerre, plusieurs mois il vit seul, caché dans l’angoisse, la peur et le manque criant de nourriture. Beaucoup d’hommes seraient morts bien avant lui. Qu’est-ce qui a pu le maintenir si longtemps si ce n’est sa capacité à se battre devant l’adversité. Il ne s’est pas battu avec des armes, mais il s’est battu pour rester en vie dans le plus grand isolement dans une ville totalement détruite. Et grâce à cela, nous avons ce témoignage d’une grande richesse aujourd’hui… Pour illustrer la force interne dont je veux parler, je vous propose de lire cet extrait :
”Novembre (1944) approchant, le froid s’est installé, notamment la nuit. Pour ne pas basculer dans la folie j’ai résolu de me fixer une discipline de vie immuable. J’avais gardé mes deux seuls trésors, mon stylo à encre et ma montre Oméga d’avant-guerre que je chérissais comme la prunelle de mes yeux, la remontant scrupuleusement pour qu’elle m’aide à respecter mon emploi du temps intangible. En fait, je passais toutes mes journées allongé afin d’économiser mes faibles forces, nous sortant de mon immobilité qu’à midi, pour prendre une biscotte et une tasse d’eau, en veillant à économiser au maximum mes réserves. Du matin jusqu’à cette maigre collation, je restais les yeux fermés, à repasser dans ma tête toutes les partitions que j’avais pu exécuter dans ma vie, mesure par mesure, ligne par ligne. Cet exercice mnémotechnique allait s’avérer fort utile par la suite : lorsque j’ai recommencé à travailler après-guerre, je connaissais toujours mon répertoire et j’avais même mémorisé des œuvres entières, comme si je n’avais cessé de pratiquer la musique pendant toutes ces années. Ensuite, de midi au crépuscule, je concentrais mon esprit sur les livres que j’avais lus, je répétais en moi-même des listes de vocabulaire anglais, je me dispensais des cours muets en cette langue, me posant des questions et essayant d’y répondre sans faute. À la nuit tombée, je m’endormais pour me réveiller vers une heure du matin. Là, je partais à la recherche de nourriture à la lueur d’allumettes dont j’avais découvert une réserve dans l’un des appartements qui n’avait pas entièrement brûlé.”
Quelle force intérieure se dégage de ce texte ! Et voyez la puissance du cerveau et de la visualisation. Je parle souvent dans ce blog du travail mental. En voici un exemple véridique et puissant. Ceci a sauvé la vie de cet homme, musicien perdu dans le néant. Et il a pu continuer à “pratiquer” et travailler son instrument, sans piano et dans les pires conditions physiques et psychiques. Alors quelle excuse pouvons nous évoquer après avoir lu cela ?
Pour écouter le nocturne en do dièse mineur de Chopin par Swadyslaw Spilman lui-même 50 ans plus tard, cliquez sur l’image ci-dessous.
Et si vous souhaitez en savoir plus sur cette histoire, achetez le livre et lisez-le avant de voir le film, qui bien qu’il soit excellent est forcément réducteur. En effet comment peut-on faire passer en 2h20 autant de subtilités qu’en 200 pages de confidences…
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Le film :
Palme d’or à Cannes en 2002, le film de Roman Polanski remporte un grand succès pour son adaptation du livre à l’écran. Wladyslaw Szpilman est incarné par Adrien Brody et le capitaine Wilm Hosenfeld, le sauveur allemand par Thomas Kretschmann. Comme tous les films sur cette période et le sujet de la Shoah, il est éprouvant aux âmes sensibles. C’est un très bon film, assez fidèle au texte d’origine, même si quelques rares éléments romancés rajoutés le rendent plus « cinématographique ». Si vous avez pu regarder le film “la liste de Schindler” sans vous arrêter avant la fin, vous pourrez supporter pour celui-ci.
Pour vous procurer le film en DVD cliquez sur l’image ci-dessous.
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J’ai tant entendu parler du Pianiste. Je n’ai jamais eu l’occasion de le lire ou de regarder le film. Mais je mets ça dans ma to do list!