Madame Pylinska et le secret de Chopin d’Eric-Emmanuel Schmitt

Image livre Madame Pylinska et le secret de Chopin Schmitt

Madame Pylinska et le secret de Chopin

D’Eric-Emmanuel Schmitt

Aux éditions Albin Michel

 

En cette période estivale pendant laquelle certains d’entre vous partent se reposer loin de leur quotidien, parlons lecture. Quoi de mieux pour « déconnecter » qu’un bon livre et une chaise longue à l’ombre d’un arbre ou d’un parasol ?

Lors d’une rencontre organisée à Bordeaux avec les élèves, j’ai entendu parler d’un livre qui m’a intriguée. Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde pour une de mes élèves et amie qui l’a dévoré. Enthousiasmée, elle me me l’a ensuite offert ! Ce livre m’a beaucoup plu donc voici un petit article en attendant peut-être une interview de son créateur…

Eric-Emmanuel Schmitt est l’auteur de nombreux romans, nouvelles, pièces de théâtre, et réalisateur de films français et belge depuis quelques années. Il parle ici à la première personne d’un aspect de sa vie que nous ne connaissons pas tous : sa rencontre et sa relation avec la musique et le piano.

 

Ce meuble porteur d’affect :

Le contexte de départ du livre est assez inattendu vu qu’il dépeint le piano comme un intrus et un ennemi dans sa propre maison. Mais de manière assez subtile, l’auteur exprime ici un aspect tout à fait réel de la présence du piano dans un intérieur : lourdeur, place prise qui semble énorme à un enfant, bruyant et imposant. Il n’est pas rare d’avoir tendance à personnaliser un piano. De lui donner des intentions. Sa présence n’est jamais anodine dans une maison. Même oublié dans un coin, il porte un message, une histoire familiale, un désir non assouvi ou abandonné. Selon l’histoire de chacun, il peut être enchanteur et porteur de joie comme il peut plomber littéralement l’atmosphère. Il peut d’ailleurs être l’un ou l’autre à certaines périodes de la vie.

Mais revenons au départ de ce livre. L’auteur ne porte donc pas particulièrement le piano dans son cœur, mais un jour une personne vient chez lui et joue du Chopin. Et là c’est le choc ! Il veut apprendre à jouer, et en particulier à jouer Chopin.

Passant rapidement sur ses débuts, toute l’histoire de ce livre relativement court est centré sur sa rencontre et sa formation quasiment initiatique avec une femme, professeur d’origine polonaise : madame Pylinska.

 

Un professeur bien étrange :

 

Cette femme rassemble à première vue tout ce qui peut rendre antipathique un professeur de piano pour la plupart des gens. Dès le premier contact, elle se met en colère lorsque son futur élève lui annonce vouloir travailler une heure par jour, ce qui peut sembler déjà énorme à tout un chacun.

« Vous nous faites insulte ! » Dit-Elle.

Mais il est vrai que cela rappelle beaucoup de nouveaux élèves qui voudraient jouer du grand répertoire en passant totalement sur la réalité des faits : ceux qui jouent réellement ce répertoire y passent des milliers d’heures depuis des années. Ils s’étonnent que ça ne rendent pas chez eux ce qu’ils entendent à la radio ou sur Internet.

L’engouement qui a rendu le piano fort populaire depuis le 19ème siècle a son revers de la médaille s’il n’est pas suivi d’information sur la complexité de son répertoire. C’est ce qu’essaie de faire Madame Pylinska à sa manière. Il peut être tendant d’être critique sur cette vision « traditionnelle » de la pratique de cet instrument. Il est tout à fait vrai que la pédagogie musicale a encore beaucoup de progrès à faire sur le plan de la communication, mais on ne peut pas non plus nier les grands pianistes qui en sortent. Parfois ce sont plus des « virtuoses » que des musiciens, mais ils ont accès cependant au grand répertoire. Ils sont bien en capacité de le jouer.

 

Je ne serais moi-même pas très honnête si je prétendais que tout ceci n’est pas réel. Ayant moi-même travaillé entre deux et cinq heures par jour pendant toute mon adolescence et mes jeunes années d’adulte, certains professeurs n’ont pas été tendres avec moi. J’ai déjà eu l’occasion d’en parler sur ce blog, j’ai découvert après que beaucoup de manières de faire étaient perfectibles, mais l’aurais-je découvert si je n’avais pas eu les outils pour le faire et les résistances pour me pousser à les chercher ?

 

Ce livre m’amène à une réflexion sur la pédagogie induite couramment par une foule d’œuvres littéraires et cinématographiques quand il s’agit d’art. L’éternel combat entre technique, rationnel contre artistique et ineffable. De nombreux artistes sont issus d’enfance difficile :

  • « Le piano absolu », auto-biographie du pianiste Lang Lang
  • L’histoire de l’enfance de Wolfgang enseigné par son père Léopold Mozart
  • Le film Whiplash, parlant des début d’un batteur avec l’enseignement brutal et cruel de son professeur…
  • etc… les exemples ne manquent pas…

On peut se rebeller contre ces fortes personnalités comme un futur soldat pourrait se rebeller contre son chef quand il le pousse dans ses retranchements, mais peut-on nier les nombreux faits qui sont là ? Les personnages qui en ressortent ?… Bon évidement former un combattant est sans commune mesure avec le fait de former des musiciens. Il faut aussi savoir raison garder !

J’ai bien conscience que tout ceci va à l’encontre de la tendance actuelle rebelle d’une humanité comme en adolescence. Bienveillance, pensée positive, développement personnel et bien d’autres courants de pensée prêchent la douceur, le calme, l’empathie (moi la première). Mais ne sommes-nous pas en chemin en train de perdre une certaine puissance, une certaine ambition et de la grandeur ?

Ce livre a soulevé à nouveau pour moi plusieurs questionnements :

  • La pédagogie bienveillante c’est quoi ? Sommes-nous réellement non-violent quand nous cherchons la bienveillance à tout prix ?
  • L’intransigeance est-il un manque de bienveillance ?

Je n’en sais rien. Très sincèrement. Mais je préfère me poser la question régulièrement afin de ne pas perdre de vue que les choses sont parfois plus complexes qu’on ne le souhaiterait. Ce qui semble bon et « bien pensant » n’est pas forcément si bon qu’on voudrait le penser par facilité.

Entendons-nous bien ! Je ne dis pas qu’il faut revenir aux méthodes violentes d’apprentissage. Clairement pour moi c’est un non franc et massif. Mais je pense que l’on doit créer petit à petit, d’ajustement en ajustement une nouvelle manière d’enseigner sans renier nos racines et les manières de faire des anciens. Et retrouver aussi plus de spontanéité dans l’enseignement.

Je ne peux m’empêcher de respecter cette femme qui finalement, sous ses apparence de professeur classique revêche et perchée, a la bienveillance d’éveiller son élève non à une technique pianistique vide de sens dont il ne fera rien pour sa propre vie, mais plutôt à son propre talent à travers sa pratique du piano et de Chopin. Comme elle le dit : « trouve la porte… »

Elle est plus qu’un professeur de piano formé à la musicologie, la physiologie, la psychologie, la pédagogie et autres mots en « …gie ». Elle est ce qu’on appelle un maître, un mentor comme disent les anglo-saxons.

 

Piano et sensualité retrouvée :

 

Un élément très important à mes yeux dans l’apprentissage du piano est abordé dans ce livre : la sensualité, le développement à l’extrême du sens du touché, l’ouverture à la conscience corporelle et son rapport à la nature. Ça ne pouvait d’ailleurs en être autrement, cet ouvrage étant un véritable hymne à la mémoire de Chopin.

Quoi de plus sensuelle que la musique de ce compositeur !

Chopin au piano

Je ne vais pas aller dans les détails ici afin ne pas vous couper le plaisir de la découverte lors de votre lecture. Je vous laisse découvrir au fil du livre les petits exercices qui ne manqueront pas de vous surprendre… à vous de les tester s’ils vous parlent 🙂 .

 

Citations à méditer :

Je vous laisse maintenant avec quelques citations significatives de ce beau livre :

« Virtuoses…

– ce n’est pas un gros mot !

– je vous apprends à devenir un artiste, pas un Narcisse. Dirigez la lumière sur la musique et non sur vous. »

« C’est la musique qui impose sa réalité à l’esprit. Elle demeure pure. Elle n’exprime pas des sentiments, elle les provoque…

Elle brandit les partitions.

-Ses titres, quasi mathématiques, s’avèrent plus honnêtes et plus mystérieux : ils ne nomment pas les émotions, celle-ci naîtront de la musique. Si la musique narre, à quoi bon la musique ? Abordant l’ineffable, elle ne dit que ce qui n’a jamais été dit nulle part. »

« Madame Pylinska, quel est le secret de Chopin ?

– II y a des secrets qu’il ne faut pas percer mais fréquenter : leur compagnie vous rend meilleur. »

« La mélodie doit se dérouler en ruban. Oui, je sais, un piano se résume à des marteaux en feutre qui tapent les cordes, c’est d’abord un instrument à percussion, mais n’en profitez pas pour le convertir en tambour ! Vous frappez, vous ne chantez pas. Chez vous, les coups succèdent aux coups. »

Après quoi elle fait écouter à son élève la Callas. Ce n’est pas sans me rappeler le livre d’Alexandre Taraud « Montrez-moi vos mains » dans lequel il exprime une fascination tout aussi forte pour les chanteurs qui soutiennent particulièrement les sons d’une ligne mélodique et qui ont une forte présence scénique (Barbara)…

« Écris ! Écris toujours en pensant à ce que t’as appris Chopin. Écris piano fermé, ne haranguent pas les foules. Ne parle qu’à moi, qu’à lui, qu’à elle. Demeure dans l’intime. Ne dépasse pas le cercle d’amis. Un créateur ne compose pas pour la masse, il s’adresse à un individu… Imite-le. N’écris pas en faisant du bruit, s’il te plaît, plutôt en faisant du silence. Concentre celui que tu vises, invite le à rentrer dans la nuance. Les plus beaux sons d’un texte ne sont pas les plus puissants, mais les plus doux. »

Parallèle entre l’écrivain et le compositeur. A l’instar de Taraud qui fait régulièrement le parallèle avec le théâtre. J’ai retrouvé également ce parallèle dans le livre « Mémoire d’empreinte » de Brigitte Bouthinon-Dumas.

« J’ose m’estimer bon professeur pour la raison que vous dites : je ne manque pas d’intransigeance. »

Si cet article vous a plu, partagez-le à vos amis. Merci à vous de m’avoir lu jusqu’ici.

Bonne lecture !

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3 commentaires

  1. Bonjour Marie Cécile,
    C’est vrai, c’est un dilemme constant: travailler pour se faire plaisir, ou travailler en visant la perfection…de ce que l’on joue! Les professeurs peuvent s’interroger, mais chacun de nous, devant son piano, se pose plus ou moins clairement cette petite question: est-ce que je travaille pour m’entendre jouer , plus ou moins bien, un morceau que j’adore, ou bien, pour tenter de débusquer, puis régler, les problèmes qui font que l’exécution n’est jamais parfaite?
    Et là, se pose la vraie question: suis-je assez patiente pour retravailler lentement tel ou tel passage, suis-je capable de réfléchir assez pour résoudre tel petit problème, ou, pourquoi, dans cette phrase, tantôt tout se passe bien, tantôt j’accroche une note ou une autre…?
    Et là, Benjamin a raison: seule la passion va entraîner la patience, qui va faire oublier le temps passé à affiner sa propre observation de ce qui marche ou pas, du chemin qui reste à parcourir, sans se décourager surtout, ni se lasser, pour tenter d’atteindre cette beauté inaccessible qui seule peut nous donner des ailes!
    Encore faut-il la ressentir en soi, et ça personne ne peut le faire à notre place, mais les bons interprètes, autant que les professeurs, sont là pour nous éclairer, et nous laisser entrevoir ce qui s’approche de l’art et de cette beauté chargée d’émotion que nous recherchons passionnément…
    Merci pour vos blogs, Marie Cécile, ils nous amènent toujours à nous poser les bonnes questions, et nous suggèrent des réponses constructives à celles ci!

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  2. Bonsoir Marie-Cécile,
    Quel plaidoyer magnifique pour ce livre que tu m’en donnes l’envie de le lire .
    Très belle appréciation de Benjamin qui sait vraiment de quoi tu parles.
    Merci à vous deux de partager ainsi vos sentiments et vos émotions.
    Eddy.

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  3. Bonjour Marie-Cécile,

    Je découvre ce blog et quel article pour une découverte !
    Toutes les questions que tu soulèves ici sont, il est vrai, parfaitement d’actualité. J’enseigne moi même le saxophone et je me les pause très régulièrement.
    Comment trouver le juste milieu entre formation  » à l’ancienne » ( dont j’ai été parfois victime) et pédagogie moderne et bienveillante?
    Comme tu le dis très justement cela à fait ces preuves autrefois et ça les fait encore, mais combien de musiciens cela a t-il frustré ou dégouté?…
    Finalement je ne peux m’empêcher de me dire que l’essentiel réside dans la transmission du « Feu Sacrée ». Cette énergie plus forte que tout, celle qui te donnes envie chaque jour, à chaque instant de pratiquer ton instrument. Il est important de cultivé la culture du beau et de l’au delà (cette chose difficilement nommable que nous cherchons a atteindre en jouant de la musique). Une fois cela réussis, le musicien est pret au sacrifice car bien sur il en faut ne nous leurrons pas.

    Merci pour cette réflexion et bonne continuation.

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