Comment améliorer l’indépendance et la coordination des mains
Nous sommes nombreux au piano à avoir déjà vécu la sensation que nos mains ne jouaient pas vraiment ensemble, ou qu’une main s’arrêtait lorsque l’autre se mettait à jouer. De quoi parlons nous exactement et existe t’il des solutions ?
Définitions :
J’entends souvent dire « je manque d’indépendance des mains », « je manque de coordination » ou « je n’arrive pas à synchroniser mes mains ». Cela veut-il dire la même chose ou parlons-nous de deux choses différentes. Je pense qu’il est bon de redéfinir ces mots puis de les remettre dans le contexte spécifique du jeu du piano.
Qu’est ce que l’indépendance ? Si l’on reprend l’étymologie du mot il s’agit de « in », privé de, et dépendance. C’est à dire sans dépendance, influence ni contrainte ou coordination entre différentes choses. La coordination est donc bien une notion différente.
Le mot coordination vient du latin “cum”, avec, et “ordinare”, mettre en ordre, ranger, organiser. Il s’agit donc de ranger, d’organiser des choses séparées au départ dans un but précis.
Ne confondons donc pas la capacité de faire des choses différentes aux deux mains simultanément et celle de pouvoir les assembler dans le cadre particulier d’un morceau de piano. La musique est un art dont « l’espace » à ranger est le temps. Qu’est-ce qui range le temps ? Le rythme. Les contours, la structure d’une oeuvre musicale est une histoire de rythme à différents niveaux. Et c’est ce qui réunit à espace régulier les deux mains. Il s’agit donc d’avoir la capacité d’avoir des mains tour à tour indépendantes hors des points de rencontre rythmiques et coordonnées à l’arrivée sur les appuis rythmiques comme par exemple les temps forts. Les mains doivent tomber régulièrement strictement au même moment et finir le morceau en même temps, pour faire littéralement oublier que deux « actrices » jouent le morceau. La clé essentielle de ce sujet, pour moi est le rythme. J’ai d’ailleurs souvent remarqué une nette corrélation entre les personnes qui avaient des difficultés de coordination et celle qui avait des difficultés de rythme.
Pour être à l’aise avec le rythme, il faut être suffisamment détendu pour pouvoir suivre d’un coté une série de durées irrégulières (la rythmique), et de l’autre une pulsation régulière. En gros être capable de faire deux choses en même temps et de les coordonner. Et pour la musique sans pulsation régulière c’est la même chose. L’ensemble des éléments musicaux oscillent entre des moments d’indépendance et de coordination des mains.
Et voilà, pour moi, il faut donc avoir les deux ! Concrètement, vous allez exercer l’indépendance avec la répétition des mains séparées et la coordination avec les mains ensemble. Vous devrez alterner régulièrement ces deux façons de travailler, et ce dès les premières semaines d’apprentissage au piano, afin de ne pas favoriser plus l’un que l’autre.
Dans le cas d’un morceau écrit, les problèmes d’indépendances sont souvent accompagnés de difficultés de lecture. Il est donc important de travailler par petits passages par cœur afin de se concentrer sur le geste uniquement et ne pas multiplier les problèmes. Cela ne vous dispensera pas cependant de travailler la lecture par ailleurs !
Pour les débutants :
La coordination est une difficulté technique majeure au piano. Il s’agit donc de l’aborder au plus tôt en s’essayant aux mains ensemble. Je le conseille dans les trois premiers mois. Ce délai est bien sûr à adapter en fonction de l’âge et de l’aisance physique de la personne. Pour certains c’est plus facile que d’autres, en fonction de l’habitude ou non de travailler la motricité dans d’autres activités. L’apprentissage du piano sera donc pour certains une véritable rééducation motrice. Nous sommes très inégaux face à cette difficulté. Il faut l’accepter et ne pas comparer les uns aux autres. L’important n’est pas d’où l’on part, mais plutôt où l’on va et comment. Celui qui part de loin mais qui s’exerce ira de toute façon plus loin que celui qui ne fait que regarder son piano du fond de son canapé…
Les premiers petits morceaux doivent comporter les deux mains en alternance, afin d’exercer de manière égale les deux mains, ainsi que la lecture des deux clés.
Puis progressivement, une, deux, trois notes vont être jouées en même temps.
Jusqu’à arriver à l’ensemble du morceau aux deux mains.
Photo de la méthode pour débutant de la série Pianorama.
Pour les plus confirmés:
Maintenant que les morceaux utilisent les deux mains, il va falloir travailler d’abord chacune des mains séparément afin d’éliminer tout problème technique des mains seules. Si l’une d’elle a une difficulté, elle risque fort de déstabiliser l’autre lors du jeu mains ensemble. Je donne souvent l’image d’un aveugle qui voudrait guider un autre aveugle. Ensemble ils n’iront pas loin…
C’est une façon de travailler l’indépendance que de travailler l’aisance de chacune des mains, “indépendamment”. En effet, on met souvent sur le dos de l’indépendance ou de la coordination des soucis qui sont liés surtout à une faiblesse d’une des mains. La plupart du temps, il s’agira de la main gauche. Mais pas toujours, soyez vigilants ! Une main droite qui connait bien son geste, peut être considérablement gênée par une main gauche hésitante et inversement.
Rentrons plus dans les détails maintenant.
Trois clés indispensables :
1. L’observation :
Lors du travail des mains séparées, vous devez observer et prendre conscience précisément du geste que chaque main doit accomplir. J’irai même plus loin, en disant que de nommer et de s’expliquer à soi-même est primordial. Encore faut-il connaitre les gestes fondamentaux du corps pour le piano. Savoir quel geste doit-être fait pour effectuer une note piquée, des liaisons par deux, des respirations-silences de fin de phrases etc… Certains supposent de lever le bras, lâcher la main, pivoter la main latéralement, avancer, reculer ou écarter le bras. Il faudra apprendre à les reconnaître.
Une fois que chacune des mains connait sa partie à la même vitesse, nous pouvons les mettre ensemble plus lentement, afin de travailler cette fois la coordination. Et là il s’agit de repérer consciemment les différences entre les deux mains. Si le même geste est demandé de chaque coté, tout va bien, mais s’il est différent cela pose un problème d’indépendance et de coordination.
Remarque : Lorsque vous travaillez la coordination sur un passage de votre morceau, n’ayez pas d’exigence particulière pour le son autre que de jouer piano (doucement) et sans violence. Ceci même si le passage comporte une nuance forte. Vous travaillerez le poids et l’attaque ensuite. Chaque chose en son temps.
2. L’exagération :
Après avoir compris la différence de geste entre les deux mains, il va falloir que votre corps “sente” la différence. Et pour cela, il va falloir mobiliser les petits « propriocepteurs » musculaires (et articulaires) qui vous permettent de savoir où et comment est positionné votre corps dans l’espace. C’est au cœur des muscles que cela se passe. Il faut exagérer l’information pour qu’il y ait une sensation suffisamment claire pour être mémorisée. Vous devrez donc faire les gestes en question en grand, de manière quasiment théâtrale (voir plus bas les exemple).
3. La lenteur :
Faire ce geste exagéré à un tempo très très lent. Car à ce stade, vous êtes dans l’accomplissement d’un geste conscient, et vous cherchez à le comprendre, à le sentir et à vous l’expliquer à vous-même. La vitesse ne pourra venir qu’avec l’automatisation, plus tard. Et là vous pourrez devenir inconscient de ce que vous faites, pour vous concentrer sur le son, le plaisir de jouer.
Cinq problèmes courants rencontrés :
Différents rythmes :
Vous pouvez rencontrer des rythmes binaires à une main et ternaire à l’autre par exemple.
Pour cela, je conseille de travailler d’abord le rythme en frappé sur une table ou vos cuisses. Puis de fermer le couvercle du piano et de jouer avec les bons doigtés dessus. Le fait de se libérer des contraintes de justesse de note est très libérateur. Il améliore le rythme, car il permet de se concentrer uniquement sur lui et de l’écouter. Se priver du son permet également de se concentrer plus facilement sur la sensation. Vous pouvez la renforcer encore en vous privant de la vue, en fermant les yeux.
Il arrive également d’avoir des rythmes irrationnels, c’est à dire deux parties dont les rythmes se désolidarise pendant longtemps. C’est souvent le cas par exemple dans Chopin ou Liszt.
Dans ce cas, il faudra isoler la « cellule » rythmique comprise entre deux points où les mains tombent ensemble, et alterner le jeu de chacune des mains exactement au même tempo. Puis les mettre ensemble en essayant de se détendre et de lâcher prise. Quel que soit le résultat, recommencez le travail mains séparées puis mains ensemble plusieurs fois, sur plusieurs jours. Soyez patient !
Différentes ponctuations :
Après avoir compris la différence des deux gestes liée à la différence des deux ponctuations, comme je l’ai dit plus haut, il faut exagérer cette différence. Par exemple, si un bras doit monter pendant que l’autre reste sur le clavier, montez le bras au niveau de la tête de manière presque clownesque. N’ayez pas peur d’être ridicule, normalement personne ne vous regarde à ce stade de votre travail !
Différents plans sonores :
Je parle ici de quand vous devez jouer une main plus forte que l’autre. Un exemple classique est celui d’une mélodie à la main droite et l’accompagnement à la main gauche. Il s’agit pour cela de créer un déséquilibre entre vos deux mains. Cela va bien sûr créer un inconfort évident au début que vous devez accepter. Vous devrez supporter le poids du bras de la main qui doit jouer doucement et laisser aller l’autre au fond du clavier. Mais vous allez vous habituer à cette nouvelle façon de faire et vous retrouverez petit à petit le confort dans cette façon de jouer.
Concrètement, il va falloir exagérer la différence de niveau sonore. Et ce en partant de l’extrême total. C’est à dire que la main qui devra au final jouer piano, devra uniquement dans un premier temps mimer son jeu. Je m’explique, les doigts articulent les notes au dessus des touches, mais ne les enfoncent pas pendant que l’autre main joue normalement. Puis progressivement, on demandera aux doigts de s’enfoncer légèrement puis un peu plus à chaque fois pour arriver à l’équilibre désiré. Bien sûr, au début, il faut accepter de jouer très mal à la main qui est légère. La maîtrise des doigts et donc du son dans la légèrement ne vient pas immédiatement et c’est normal.
Touches noires et touches blanches :
Il arrive qu’un oubli régulier de dièse ou de bémol (les touches noires en général) soit dû au fait que la main qui doit le jouer a du mal à intégrer qu’elle doit faire un geste légèrement différent que celui de l’autre main qui est sur touche blanche. Il est bon dans ce cas d’exagérer (pour l’apprentissage et dans ce cas uniquement) le geste d’avancement de ce bras en allant presque toucher le couvercle au fond du clavier. On appelle ce mouvement d’avancement “mouvement tiroir”. C’est une bonne image pour comprendre de quoi il s’agit. On devra donc se concentrer ici sur le décalage des deux bras avant arrière.
Anticipation :
Pour coordonner les mains sur certaines notes devant être jouées ensemble, il est parfois nécessaire de ne pas respecter les durées rythmiques écrites juste avant ce point. C’est le cas par exemple pour pouvoir avoir le temps d’effectuer un grand déplacement, ou faire entendre une « respiration » musicale en fin de phrase. Dans ce cas, des gestes sont parfois nécessaires à une main et non à l’autre. Procédez comme précédemment, exagérer la différence entre les deux gestes.
C’est le même principe lorsque l’on doit répéter la même note plusieurs fois à une main, obligeant celle-ci à se soulever pour laisser remonter la touche avant de jouer. La main en question doit anticiper sa levée alors que l’autre non puisque le simple changement de doigt suffit pour jouer. C’est souvent le cas en particulier dans une partition de variété si la main droite joue une mélodie chantée dans sa version originale. Il est courant de répéter la même note dans une mélodie de chanson, car c’est particulièrement adapté à la voix, mais peu pratique pour le piano il faut bien l’admettre !
En dehors du piano, sollicitez vos cotés faibles plus souvent:
Si vous êtes droitier, faites travailler un peu plus votre main gauche pour des gestes sans trop d’importance quand au résultat. Par exemple, prenez votre verre ou votre assiette avec la main gauche, ou plus compliqué, lavez-vous les dents avec la main gauche. C’est assez cocasse !
Les gauchers, vivant dans un monde de droitiers, n’ont pas d’autre choix que d’exercer régulièrement leur main droite. Il sont donc souvent amené à travailler plus souvent les deux mains et à devenir quelque peu ambidextre. Cela leur donne un avantage pour le piano.
Tout ce qui vous permettra de travailler vos deux cotés est excellent pour la coordination générale. Et ce d’autant plus s’il s’agit du corps dans son ensemble. Voici un exercice tiré du Brain Gym, et appelé Cross-Crowl, excellent pour toute coordination. L’enfant ici le fait assis, mais vous pouvez le faire debout ou même couché. L’important étant de croiser avec votre bras une ligne médiane passant au milieu de votre corps, pour aller toucher (avec la main ou le coude) le genoux de la jambe opposée.
Certaines personnes peuvent être étonnés de constater que leur main droite a beau être plus habile, elle n’en est pas pour autant détendue et souple. Il est courant de constater une main gauche plus malléable et souple que la main droite, étant beaucoup moins sollicitée au jour le jour.
Patience ! C’est aussi une histoire de mémoire :
Comme toute chose que l‘on joue au piano, il s’agit de produire un geste dont le son ne sera que la traduction. Si le résultat sonore n’est pas satisfaisant, c’est le geste qu’il faudra améliorer. Dans toute amélioration, il s’agit d’apprentissage. On fait, on améliore et on construit le geste petit à petit, en ayant mémorisé le geste d’hier. C’est donc une histoire de mémoire. Et plus précisément de mémoire procédurale. La même que celle qui vous permet de marcher, de parler, de faire du vélo, de nager. Celle qui nous permet de faire des choses en automatisme et sans y réfléchir. C’est une mémoire très fiable et qui dure longtemps. Mais gare cependant à la moindre petite chose qui pourrait vous troubler. Surtout ne pas se poser de questions ou trop réfléchir, car cela risque fort de vous faire perdre les pédales !
Tout fini toujours par venir avec de l’entrainement. Soyez patient. Hélène Grimaud disait à peu près ceci : “On se trompe rarement, mais en général on ne va pas assez loin”. Soyez attentif à vos progrès et réjouissez-vous en.
Tout apprentissage moteur est long. Pensez au temps que met un enfant à marcher. Le nombre d’heure qui consacre à essayer étape par étape, en tombant régulièrement, et chacun avec sa propre méthode. L’avantage c’est qu’un fois que c’est acquis, c’est pour longtemps !
Si vous sentez l’agacement arriver, stopper l’entrainement. Faites confiance à votre travail et lâchez prise. Quand vous vous y remettrez demain vous serez peut-être bien étonné de l’amélioration du confort dans votre coordination.
En guise de conclusion:
Dans tout apprentissage d’un geste corporel pour un but bien précis, il s’agit d’être efficace, efficient et fiable. C’est à dire arriver au résultat voulu, avec un minimum d’énergie et pouvoir le faire en toute circonstance. Dans ce cas, vous pouvez vous dire que c’est acquis.
J’espère vous avoir aidé par ce long article ! Merci et bravo de l’avoir lu jusque là ! Vous êtes visiblement très motivé. Partagez-moi dans les commentaires vos difficultés et succès en rapport avec l’indépendance et la coordination des mains au piano. Je suis toujours à l’affût de nouvelles idées, trucs et astuces qui pourraient m’aider, moi et mes élèves.
Merci Marie-Cécile pour vos précieux conseils ! J’ai découvert votre blog il y a peu et c’est un parfait complément à mes cours particuliers.
Bonjour et merci pour cet article très éclairant pour moi qui travaille seul.
Excellente explication pour mieux
synchroniser le travail des 2 mains!
Maintenant, j’adorerais un conseil pratique pour aider mes mains et mes doigts a trouver les bonnes touches sans être obligée de quitter la partition des yeux! Les bons pianistes ne regardent pas tout le temps le clavier!
Quel type de travail pour vaincre ce problème?
Excellente explication pour mieux
synchroniser le travail des 2 mains!
Maintenant, j’adorerais un conseil pratique pour aider mes mains et mes doigts a trouver les bonnes touches sans être obligée de quitter la partition des yeux! Les bons pianistes ne regardent pas tout le temps le clavier!
Quel type de travail pour vaincre ce problème?
En tout cas merci pour vos conseils qui reflètent une grande expérience du piano et bcp de bon sens!
bonjour
je suis pianista amateur actuellement je travaille carl czerny que vous connaisser j’imagine je sui sur l’art de délier les doigts exercices no 4 c’est du 6 8 pour cet exercice
c’est a la page 14 la ou il y a les do clef de fa et clef de sol sur la même portée
mon problème c’est surtout a la main droite en haut pour les doigtes
a lap remiere mesure il me met le 4 et le 2 pour le do sib c’est impossible
moi je mettrais le le 1 et le 4
comment vous travaillerez les écarts a partyir de cette mesure car ce n’est pas si évident que ca
Bonjour Lucu. Je n’ai pas trouvé le passage en question… et vu le nombre croissant de lecteur qui arrive tous les jours, je ne peux pas répondre à des problèmes spécifiques dans les morceaux de chacun. Sauf bien sûr en cours individuel ! 🙂
En revanche, je parlerai prochainement de comment améliorer les écarts entre les doigts ! ça répondra certainement à votre question générale ! Bon courage et bravo pour le travail de cet exercice qui est loin d’être évident !!
Oh mon Dieu! Merci Marie-Cécile! Cet article est une mine d’or! C’est sur que je te reviens là-dessus!
Merci Bruno ! A très vite.
Very true! Makes a change to see somoene spell it out like that. 🙂
Merci Florence !
Merci Marie-Cécile pour cet article, Cela m’a encouragée à jouer mon morceau jusqu’au bout les deux mains séparées et à accepter que mes mains soient indépendantes pour le moment. Je m’attarde sur quelques mesures pour travailler la coordination, c’est une petite victoire ! Il y a des morceaux où la coordination se fait particulièrement bien ! Et là, je dois être hyper concentrée, ça ne vient pas tout seul ! Une meilleure lecture de notes m’aidera aussi. En travaillant, je me dis que « je l’aurai » un jour !
Tout à fait Isabelle ! Tu as la bonne attitude. Tu l’auras c’est certain. Comme tu dis, le tout est dans l’acceptation de ce que l’on peut faire aujourd’hui et la persévérance pour faire mieux plus tard.