4/10 – Sur chaque geste tu t’appuieras
La vie est ainsi, elle requiert des ajustements permanents. L’existence est souvent bousculée par des événements inattendus, précipités, voire parfois bouleversants…
L’année dernière, Laurence, une ancienne élève et maintenant amie, rédactrice et animatrice auprès de seniors, a rédigé différents articles pour mon blog. Je vous avais invité à lire la série portant chacun sur une thématique issue de mon enseignement : les « 10 piliers » qui guident sa pratique du piano.
La diffusion de ses articles a connu une interruption depuis août 2022. Je tiens à vous expliquer les raisons de ce silence. Laurence a quitté Bordeaux pour découvrir le Québec sur un long séjour. La concrétisation de ce projet de longue haleine a été grandement facilitée par l’accueil de Louise, une pianiste rencontrée dans ma communauté que j’appelle les Clénautes !
Le 13 septembre dernier, Laurence et Louise se sont rencontrées « pour de vrai » et jouent ensemble, notamment des quatre-mains au piano ! C’est un réel plaisir pour moi d’assister de loin à mon rêve le plus cher dans tout mon projet : rassembler et procurer de la joie par le piano.
Voici sans plus attendre, en provenance directe de cette belle Province du Québec, la suite de la série avec l’article portant sur le 4e pilier : la gestuelle, sujet cher à mon cœur. J’en profite pour saluer nos cousins québécois, que je sais nombreux parmi les Clénautes.
Si vous n’avez pas lu les trois premiers, je vous invite à commencer par cliquer ici.
La gestuelle, un pilier central
C’est avec grand plaisir que je reprends le fil de la thématique des 10 piliers avec le 4e sujet, en lien avec le mouvement et le toucher : la gestuelle. Des sensations physiques confortables et agréables sont la voie privilégiée pour parvenir au plaisir de l’interprétation tout en goûtant aux subtilités du son. Petit retour sur ce long chemin…
Les premières années marquantes de mon apprentissage
J’ai eu la grande chance de débuter le piano enfant, à l’âge de 7 ans, en cours particulier. Je me souviens du prénom de celle qui m’a initiée : Elisabeth, jeune musicienne passionnée et bienveillante. Bien que n’ayant pas le profil de la prof de piano irascible qui donne des coups de crayon sur les doigts, elle était très à cheval sur la position des mains et des doigts. Cela fait partie de mes atouts, Marie-Cécile me l’avait confirmé.
Elisabeth avait parfois recours à sa gomme qu’elle posait sur ma main, de mémoire toujours à droite. Si la gomme tombait, c’est que j’avais trop “remué” le poignet notamment lors du passage du pouce. Je me revois devant son piano droit, dans le cocon de sa chambre nichée sous les toits de la maison de ses parents, souvenirs d’une petite fille très appliquée.
La découverte de la souplesse du poignet avec MC
Après huit années d’apprentissage, j’ai eu l’occasion de prendre des cours avec d’autres professeurs. Finie la gomme, elle n’était visiblement plus utile ! Recevant d’ailleurs très peu de conseils sur la position de mes mains, j’en déduisais que ma position était correcte. Il en aura fallu des années avant que je découvre le plaisir de jouer en me servant du mouvement du poignet…
Les cours en présentiel avec MC ont débuté en 2008. Dans son diagnostic de départ, j’imagine qu’elle avait repéré le côté statique de mes mains. En tant que pédagogue, elle a certainement distillé des conseils au fur et à mesure des cours pour m’amener à évoluer. Le souvenir d’une séance m’a marquée. Elle m’avait proposé de déchiffrer une partition simplifiée de « Jésus que ma joie demeure » de JS Bach.
Ce morceau a provoqué un déclic ! J’ai ressenti physiquement et dans la joie (!) que le plaisir du geste était associé au plaisir du son. Le désir était là : il fallait déprogrammer une manière de jouer apprise depuis l’enfance et changer ses repères pour jouer autrement. Pas simple.
Le « bon geste » par l’observation et la pleine conscience
J’ai commencé par analyser les mouvements requis dans un sens et dans l’autre pour comprendre puis j’ai pratiqué. Il m’aura fallu du temps pour acquérir une souplesse réflexe du poignet. Depuis, quand un passage pose problème, je regarde attentivement ce que fait ma main, du poignet jusqu’aux doigts (pour chaque main séparément).
Après avoir identifié le mouvement qui n’est pas juste, il s’agit de trouver par soi-même la solution pour parvenir à un confort dans la vitesse (quelle qu’elle soit). C’est une forme de distanciation ! Jouer tout en étant se mettant à la place de l’observateur, c’est-à-dire celle du professeur pour gagner en autonomie.
Il y a aussi le plaisir d’associer un mouvement à la beauté d’un son, de le goûter, ce qui constitue le meilleur moyen d’ancrer un morceau par cœur. C’est en cela que les passages complexes sont plus faciles à mémoriser !
La mémoire du geste dite « kinesthésique »
La mémoire qui nous vient des sensations est très profonde. Je suis toujours très émue de voir des pianistes âgés, atteints de la maladie d’Alzheimer et capables de se souvenir d’un morceau abandonné depuis longtemps… Le début du morceau remonte naturellement comme une empreinte corporelle inoubliable.
Enfant, je me suis beaucoup appuyée sur cette mémoire-là. Devenue adulte, cette « ficelle », certes très intéressante, est devenue dangereuse !
En cours de jeu, finie la facilité de l’enfance. Le mental vient jouer les trouble-fêtes ! Alors OUI pour s’appuyer sur cette mémoire kinesthésique, NON pour qu’elle soit prédominante. Il convient de l’accompagner par d’autres mémoires… ce qui serait l’objet d’un autre article !
Les p’tits trucs de MC
Avant de conclure cet article, je réunis ici ses conseils très précieux, en lien avec le travail de la gestuelle:
En phase de démarrage d’un nouveau morceau
Travailler le morceau très très très lentement pour prendre conscience du bon geste, dès le départ avant d’augmenter la vitesse progressivement. S’atteler bien sûr aux « ZAP » (Zones d’Apprentissages Prioritaires), mains séparées et dans la foulée mains ensemble. J’avoue que je dois encore me gendarmer pour procéder ainsi ! Trop pressée, je répète un faux geste que je devrais déprogrammer, ce qui est contre-productif.
Pour chaque enchaînement de phrases
A la fin d’une phrase d’un passage que l’on a isolé, travailler systématiquement les premières notes de la mesure qui suit. C’est ce qui assure une continuité de mouvement dans le déplacement… très efficace pour faciliter le passage par cœur !
À la fin de chaque séance sur un morceau
Quel que soit le stade du morceau, clôturer chaque séance en jouant le morceau que l’on vient de travailler, du début à la fin, en respectant une pulsation très lente*. Ce qui pointe immanquablement le doigt sur les passages qui restent flous. Fini l’élan du mouvement ! L’avantage est de pouvoir observer là où les doigts sont totalement perdus, hésitants ou partent carrément dans la mauvaise direction ! Jouer en toute sérénité un morceau en sous régime est l’assurance de le maîtriser parfaitement.
*Sauf si l’œuvre comporte plus de 4 pages et que certaines parties n’ont pas encore été travaillées.
Conclusion
Des 10 piliers, celui-ci est sans conteste celui qui me passionne le plus. Je suis curieuse de connaitre vos impressions sur ce sujet…
Il est temps de terminer cet article en proposant une question : « Êtes-vous capable de jouer un morceau que vous avez dans les doigts à un tempo très lent ?” (avec partition ou sans dans le cas d’une interprétation de mémoire)
Je vous propose d’expérimenter cela, et de nous partager vos impressions dans les commentaires ci-dessous. Vos retours d’expériences en matière de gestuelle seront les bienvenus.
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