Etre créatif au piano

 

Si vous avez appris à jouer du piano comme moi sur des partitions, et selon la méthode classique, il vous est peut-être arrivé d’être sacrément frustré de ne rien pouvoir jouer directement au piano sans avoir travaillé au préalable deux mois… Vous savez cette situation où vous n’aviez pas prévu de jouer et un piano passe par là. On vous lance “ah ! mais toi tu sais jouer du piano ! Vas y, joue nous quelque chose !”. Vous hésitez, vous avez envie, mais à la fois vous n’aviez pas prévu et aucunes partitions à vous mettre devant les yeux. Alors vous tentez le morceau du moment, et là, catastrophe ! Vous ne le savez plus. Alors la colère monte : “quand même ce n’est pas juste ! tous ces efforts fournis, ces années à travailler tout seul dans mon salon, pour finalement ne pas être foutu de jouer quelque chose devant mes amis !”

Et comble de l’humiliation, un cousin de vos amis est là. Il n’a jamais suivi le moindre cours ou la moindre méthode. Il se met au piano, mèche sur l’œil et sourire aux lèvres, pour jouer magnifiquement trois accords jazzy avec un style et un groove qui “déchire” et met une sacrée ambiance. Tout ça à l’oreille bien sûr. Il a un succès fou. En tout cas vous en faites une montagne, vous, dans votre tête. Vous avez envie de tout arrêter. Ça vous rappelle quelque chose ?

Cet article participe au carnaval d’article sur la créativité, organisé par le blog La Musique et vous, qui vous donne des conseils concrets pour apprendre la musique à tout âge.

Et oui, vous l’avez bien senti dans ces moments-là. Il ne suffit pas de savoir bien exécuter la musique de quelqu’un d’autre pour être un pianiste heureux. Caresser le clavier, jouer deux notes pour savoir comment le piano sonne, se laisser entraîner dans le monde des sons, rebondir en jouant une petite mélodie simple, et c’est parti pour un voyage où vous oubliez le temps et tous vos soucis ! Vous jouez, improvisez quelque chose qui vient du plus profond de votre être, votre propre musique. Elle n’est pas forcément compliquée. Vous ne faites pas preuve d’une grande virtuosité. Mais c’est ce que vous entendez à ce moment-là. Votre être créatif. Croyez-moi, c’est du pur bonheur.
Développer sa créativité au piano

Ma prise de conscience :

Je me rappelle qu’au court d’une formation de professeur de piano au conservatoire de Paris, un des intervenants a dit une phrase qui m’a beaucoup marqué. La voici.

“Un enseignant se doit d’enseigner en suivant trois axes fondamentaux :

  • Les connaissances
  • Le savoir-faire
  • Et la créativité.”

Le constat fut rude pour moi. J’ai pris conscience qu’on m’avait enseignée des connaissances et du savoir-faire, mais pas de créativité musicale. J’étais moi-même incapable d’improviser quoi que ce soit, de jouer au piano sans m’accrocher à la musique issue du cerveau d’un autre. Alors comment être capable de l’enseigner aux autres… Je connaissais tout de la théorie. Les tonalités, l’harmonie n’avaient pas de secrets pour moi, mais j’étais incapable de « jouer » avec et de prendre plaisir à les explorer.

J’ai alors entrepris d’apprendre à improviser. Je me suis alors procuré plusieurs méthodes d’improvisation et de jazz. Mais ce qui m’a complètement débloquée entre autres choses, c’est la méthode Improvise For Real. Loin d’être une grande improvisatrice, j’étais devenue capable de me faire plaisir sur un piano sans aucune partition, avec ce que j’entendais dans ma tête.

Forte de cette victoire, j’ai alors cherché à jouer avec d’autres musiciens qui jouaient à l’oreille, et dans des répertoires différents qui n’utilisent pas de partitions. J’ai intégré alors un groupe de rock au sein duquel on me demandait régulièrement de créer un petit solo sur une grille d’accord. J’étais complètement perdue et terrifiée au début, puis je me suis rendue compte que j’avais toutes les compétences pour m’intégrer. Ce fut une merveilleuse expérience. Dans le même temps, j’ai commencé à jouer dans un ensemble guitare/chant/percussion/piano, appelé Lantannah et où j’ajoute ma touche personnelle dans des accompagnements à partir de la structure donnée par l’auteur des chansons. C’est une grande joie de “jouer” et de partager la musique avec d’autres !

 

 

La créativité dans les œuvres écrites :

Pour moi la créativité n’est pas qu’une histoire d’improvisation ou de composition cependant. Il y a énormément de créativité à développer, et de liberté à trouver même sur des morceaux déjà écrits par d’autres. On peut se croire extrêmement contraint par tout ce qui est marqué sur le papier, sauf que sans vous, le papier, l’œuvre n’est rien ! C’est à vous de vous réapproprier tous ces signes abstraits et de créer votre propre musique avec. C’est à vous de recréer le morceau à chaque instant.

Un élément est absent sur le papier, comme le dit si bien Brigitte Bouthinon-Dumas dans ces deux livres Mémoire d’empreintes, c’est le timbre. La couleur d’un son, sa chaleur,  ou au contraire son côté piquant etc… Tout ceci vous appartient et vous est propre. Pour expérimenter ce que je veux dire, choisissez par exemple un morceau très connu. Ecoutez attentivement et au calme plusieurs interprétations sur Internet, et vous entendrez que chaque pianiste a un timbre, une personnalité qui lui est propre. Notez que lorsque j’emploie le terme de pianiste, c’est dans son sens strict de personne jouant du piano, et non le sens de personne dont c’est le métier. Qu’est-ce qui fait la différence.  C’est ce que l’on appelle “le toucher”. Quand on joue du piano, on oublie souvent qu’il ne suffit pas d’enfoncer la bonne touche au bon moment. On doit créer une qualité de son, en “touchant la touche” de manière très spécifique.

 

Comment développer sa créativité :

Faites de la place à l’inspiration :

Tout d’abord il faut vous offrir du temps. Avec un emploi du temps de ministre, vous pourrez gérer beaucoup de chose et être efficace dans vos tâches, mais pas devenir créatif. Un artiste a souvent la réputation d’être désorganisé et tête en l’air. Mais n’est-ce pas plutôt un besoin de liberté, de temps pour être créatif ! On ne convoque pas la créativité de 21h17 à 22h06. Elle s’invite sans prévenir, dans les moments où on ne s’y attend pas forcément. Et c’est là le plus gros obstacle. Nous laissons notre époque saucissonner nos vies et nous presser comme des citrons, si bien que nous n’avons bientôt plus de substance à exprimer.

S'inspirer quand on et pianiste
Photo de Gilles Rémus

Aérez-vous, promenez-vous, contemplez la nature. Je me souviens avoir lu que Chopin conseillait à ses élèves de marcher dans la nature pour pouvoir mieux jouer au piano après. Il le faisait lui-même régulièrement. On ne peut pas être créatif sans être inspiré, et pour être inspiré on ne peut pas être exténué, préoccupé, inquiet.

Nourrissez l’inspiration :

Allez voir des expositions d’art. De nombreux compositeurs dans leurs écrits témoignent du besoin de se rapprocher des autres formes d’art, et de l’inspiration que cela leur apporte. Moussorgski en donne un merveilleux exemple par son œuvre “tableaux d’une exposition”.

Voyagez, aller au concert, écoutez de la musique, et dans différents styles. Pour ma part, j’écoute toute sorte de musique. Il m’arrive de passer de Mozart à MC Solaar, ou de Brassens à Chilly Gonzales, selon les périodes. Ne rejetez rien, à priori avant d’avoir écouté. Bref nourrissez-vous de l’expression de la créativité des autres. Le mythe du créateur seul, inspiré en permanence et sans influences de son environnement est faux. Si vous n’écoutez pas ou que très peu de musique, votre cerveau n’aura pas de manière sonore dans laquelle puiser son inspiration !

Tableau de Braque
Georges Braque (1882-1963), Le Port de La Ciotat

Photo prise par Renaud Camus

Faites silence, pour écouter :

Apprenez à calmer vos pensées tourbillonnantes. Respirez ! Et faites le silence avant de vous mettre au piano. L’inspiration vient par l’écoute. L’inspiration vient après l’expiration… Après le lâcher prise. Vous ne pourrez pas entendre votre propre musique intérieure si vous pensez au poulet que vous devez faire cuire ou à la dernière engueulade avec votre conjoint.

La musique émane du silence, gardez cela à l’esprit !

Et quand vous vous mettez à jouer, écoutez le son que vous produisez. C’est dans chaque son qui résonne dans votre pièce, avec votre piano, ce jour-là, que vous créez le suivant. Que la musique soit de vous ou non, un son émane toujours de la note ou du silence qui le précèdent. Si vous ne prêtez pas attention à chaque son, ce ne sera qu’une succession de note mais pas de la musique, pas de l’art qui exprime quelque chose.

Enfin, amusez-vous :

Le jeu est une forme d’improvisation. L’improvisation est un jeu. Il faut savoir « jouer » dans le sens de s’amuser. Travailler son instrument est une affaire sérieuse, mais si vous coupez toute émotion et tout esprit d’amusement, vous videz votre pratique de tout ce qui vous a poussé à apprendre le piano. Ceci peut se faire avec l’aide d’un enfant par exemple, qui sont nos maîtres en la matière. Vous pouvez essayer de retrouver une chanson qu’il aime et trouver un accompagnement. Jouer avec d’autres aide aussi beaucoup à passer à un mode plus vivant et ludique, en nous obligeant à sortir de notre mental.

Enfant qui s'amuse au piano

Photo Woodleywonder

Un peu de pratique d’improvisation au piano :

Le piano est un instrument merveilleux, car toutes les notes sont à disposition et d’accès facile. Comme le dit Bruno du blog Composer Simplement dans cet article, il est également facile de se repérer au clavier pour composer.

La contrepartie de ça, est qu’il y a trop de choix et trop de mains pleines de doigts à occuper. Comme toutes les notes sont à disposition, vous avez besoin d’un cadre, un mode qui vous impose un choix. Si vous jouez toutes les notes de manière aléatoire, vous allez-vous retrouver dans une véritable cacophonie, ou en plein dodécaphonisme, ce qui est peut-être un peu prématuré et ardu. Les douze sons compris entre une note et la même une octave plus haut ne sonnent pas bien ensembles ou jouées de manières proches et désorganisées. On en choisi en général 7 sur les 12, ce qui forme les modes. Les plus connus sont les modes Majeur ou mineur, mais il y en a beaucoup d’autres.

Un exemple de “cadre” intéressant et facile est le fait de vous amuser à jouer uniquement sur les touches noires, ce qui vous fait retirer automatiquement les 7 notes des touches blanches (voir cet article de La Musique et Vous). En faisant cela vous vous retrouvez avec uniquement cinq notes par octaves, faciles à repérer. On appelle cela le mode pentatonique. À la main gauche vous pouvez jouer un accompagnement très simple et statique comme par exemple un fa dièse avec un do dièse à espace régulier. Et à la main droite improvisez des mélodies, toujours uniquement sur les touches noires. Vous allez vite vous retrouver dans une ambiance évoquant souvent l’Asie ! Essayez !

Pour que l’apprentissage de la création musicale au piano soit naturel et progressif, je pense qu’il est intéressant de repasser par les grandes étapes de la polyphonie de la musique :

  • Une mélodie seule jouée par l’une ou l’autre des mains.
  • Une mélodie à la main droite accompagnée à la main gauche par une seule note. Cette note sera rejouée régulièrement, dès qu’on ne l’entendra plus, pour former ce que l’on appelle en théorie musicale une pédale (note tenue tout le long du morceau). De nombreuses musiques anciennes ou traditionnelles sont sous cette forme.
  • Progressivement, l’accompagnement de la main gauche va passer d’une note à deux en formant une quinte, puis trois  et quatre pour former un accord.
  • Enfin la main gauche va enrichir son accompagnement en introduisant des rythmes, des déplacements de plus en plus nombreux sur d’autres notes, au fur et à mesure que la coordination des mains s’améliore. Elle pourra alterner entre deux notes, puis trois, se complexifiant progressivement.

Je ne peux malheureusement pas vous expliquer tout ceci plus en détail dans cet article, déjà bien long ! Mais la démarche générale est là.

« Ce n’est pas pour moi » :

J’entends d’ici ce que vous vous dites intérieurement. Oui mais je ne suis pas capable. Je n’ai jamais su improviser. Il me faut une partition sinon je suis perdu. Ce n’est pas maintenant que je vais m’y mettre. Ce n’est pas pour moi. Et puis de toute façon je n’ai jamais eu d’oreille. Etc.. Et pourtant, sachez que c’est accessible à tous, à condition d’accepter de commencer modestement.

Vous pensez que vous n’avez pas d’oreille, pas d’inspiration. Peut-être que c’est vrai. Mais vous pouvez apprendre. Faites-vous confiance ! Oui, vous allez commencer en faisant des notes « bizarres ». Vos premières improvisation seront très basiques, pauvres et de style enfantin. Rien de génial dans tout cela. Et c’est normal. Persévérez ! Arrosez votre jardin musical tous les jours. Car tout le monde peut accéder au plaisir de l’improvisation avec du désir et de la pratique régulière.

Quand vous sifflotez sous la douche, n’est-ce pas de la musique ? Quand un petit enfant joyeux chante, n’est-ce pas l’expression la plus naturelle qui soit ? Vous aussi étiez comme ça ! Vous avez juste eu besoin mettre de côté cette partie de vous, pour vous consacrer à d’autres choses, et vous avez de très bonnes raisons de l’avoir fait. Mais c’est toujours là et il suffit de vous y reconnecter et de lui permettre de grandir enfin.

 

J’espère que cet article vous aura donné envie de vous mettre à l’improvisation, à la création de votre propre musique. Pour vous y aider également, allez lire les autres articles de ce carnaval en cliquant ici.

Voici une vidéo très bien faite pour aller plus loin dans l’improvisation sur les touches noires, de la chaîne YouTube Le cahier du pianiste :

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9 commentaires

  1. Les 2 livres que tu as présenté m’ont l’air fort intéressants! Moi qui a justement appris le paino de la même façon que la tienne! De plus, j’approuve toute les stratégies présentées poru faire naître l’inspiration. J’en parle régulièrement sur mon blog aussi!

    Dernière chose : « Les points de côté » a un potentiel énorme pour avoir du succès! Très accrocheuse! Je vous souhaite bien du succès!

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    1. Merci Bruno !! j’espère effectivement !!

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  2. Merci Marie Cécile pour vos précieux conseils.
    Fatima

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    1. Merci Fatima de ce gentil commentaire, et de me lire si fidèlement ! ça me fait chaud au cœur. 😉

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  3. Merci pour cet article. Super cette façon de dédramatiser ! L’ enseignement de la musique est souvent mal adapté et peu ludique pour l’amateur qui cherche juste à se faire plaisir. On a vite la sensation de tourner en rond en apprenant les morceaux les uns derrière les autres. Cet article va me permettre de « jouer » dans tous les sens du terme.

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  4. Merci Marie-Cécile d’avoir participé au Carnaval d’articles sur la créativité. Je trouve sincèrement que ton article est de très bonne qualité et que tes lecteurs ont bien de la chance de recevoir tes conseils avisés. Je me reconnais complètement dans la description presque pas caricaturale du musicien classique qui est perdu sans sa partition parce que la créativité n’était pas au programme au conservatoire, du moins en France. Étudier en Suisse et en Belgique a tout changé pour moi. Aujourd’hui, je constate qu’il y a de grandes avancées dans ce sens dans les conservatoires et écoles de musique françaises et c’est très encourageant pour l’avenir de nos musiciens. Mais nous, professeurs, ne devons surtout pas oublier la créativité, l’improvisation, etc. dans nos cours ! Sinon, ça serait comme si nous proposions à nos élèves de savoir lire et écrire, sans savoir parler…

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    1. Exactement ce que je dis régulièrement : Il serait inconcevable pour tout un chacun d’apprendre à un enfant à lire avant qu’il parle. Or la musique est un langage. Et pourtant c’est ce qui a été beaucoup pratiqué dans l’enseignement musical en France depuis le 19ème (je parle seulement de la France, car je ne connais pas suffisamment d’école dans d’autres pays européens). On retrouve d’ailleurs la même problématique également dans l’apprentissage des langues ! Mais un net progrès s’installe progressivement un peu partout et je m’en réjouis.
      Merci pour les compliments qui me font bien plaisir.

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  5. Merci Marie-Cécile pour cet article, ça fait du bien de lire ça… Je me retrouve à 100 % dans la description du début.. (je me sens moins seule!) mais Que de frustrations!
    J’aimerais intégrer l’impro plus régulièrement dans mes « séances », pour apprendre à lâcher prise et être dans l’instant présent des sensations et de l’écoute… Sans jugement! Moi qui m’intéresse à la pleine conscience et à l’auto hypnose, j’aimerais creuser de ce côté pour voir si ça m’aide de pratiquer cela juste avant de me mette au piano… ?Si quelqu’un a déjà testé, donnez vos conseils!

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    1. Courage Marion ! tu es sur la bonne voie car tu cherches des solutions ! Et celles qui te parlent sont forcément les meilleures pour toi. Les difficultés que l’on peut éprouver en improvisation sont souvent dus aussi à des blocages profonds, qui gagnent toujours à remonter à la conscience. Et de multiples techniques existent pour cela. A chacun d’agir selon ses élans.
      Et n’oublie pas aussi que l’appétit vient en mangeant ! 😉

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